PNRT : le projet de loi santé article par article

Après l’adoption à l’Assemblée nationale d’une série d’amendements créant dans le projet  de loi de santé un chapitre Ier bis « lutter contre le tabagisme », nous vous en présentions les principales mesures dans notre dernier numéro. Pour y voir plus clair, voici un récapitulatif de l’ensemble des dispositions votées.
Rendez-vous en septembre pour la première lecture au Sénat.

Article 5 quinquies – interdiction des arômes et additifs
[Introduit en commission par l’amendement 1406 du Gouvernement.]

La fumée colorée : une fantaisie trop susceptible de séduire les jeunes et bientôt interdite. © Yaroslav Pavlov

La fumée colorée : une
fantaisie trop susceptible
de séduire les jeunes
et bientôt interdite.
© Yaroslav Pavlov

Selon l’exposé des motifs, il s’agit de « transposer les dispositions de la directive 2014/40/
UE, qui entrera en vigueur le 20 mai 2016, qui interdisent l’utilisation d’arômes (odeur et goût) « caractérisant » ou reconnaissables pour les cigarettes et le tabac à rouler. Pour les arômes caractérisant dont les parts de marché sont importantes (par exemple le menthol), la directive précitée prévoit un report de l’interdiction au 20 mai 2020, afin de permettre aux industriels de s’adapter d’ici cette échéance. Les additifs nécessaires à la fabrication des produits du tabac, comme le sucre remplaçant celui qui se perd au cours du processus de séchage, pourront toujours être utilisés. »

Article 5 sexies A – interdiction des capsules
[Introduit en séance publique , contre l’avis du Gouvernement, par l’amendement 581 de Jean-Louis Roumegas.]
Réponse à l’introduction récente des capsules, la mesure vise également « tout autre dispositif technique permettant de transformer la cigarette ». Un texte qui devrait encourager le commerce transfrontalier puisque ces produits vont rester disponibles chez nos voisins moins hâtifs à transposer la directive.

Goûts et couleurs : du tabac, rien que du tabac
Les exposés des motifs le répètent à l’envi : en interdisant les additifs qui colorent la fumée, ou les capsules, le législateur entend lutter contre les « stratégies de contournement » des interdictions déployées par l’industrie pour séduire les jeunes en transformant la cigarette « en un objet mixte et ludique ». L’approche, si elle s’inscrit dans le droit fil du paquet neutre, revient en fait à interdire l’innovation aux industriels du tabac.
Jean-Louis Roumegas l’affirme d’ailleurs explicitement : « cet amendement a pour objet d’empêcher [les industriels] d’utiliser le produit comme support de toute innovation technique ou sensorielle destinées à renforcer l’attractivité des produits du tabac ». Bref, ils ne peuvent vendre que du tabac, rien que du tabac, ne ressemblant qu’à du tabac.
Voilà qui donne à réfléchir, car on pourrait à ce compte-là interdire aux bonbons les couleurs vives et les saveurs acidulées pour protéger les jeunes des caries et du diabète (du sucre en trop ne devrait-il pas ne ressembler qu’à du sucre en trop ?) En tous cas, l’e-cigarette l’a probablement échappée belle : innovation séduisante, arrivée quelques années plus tard,
elle aurait peut-être bien été interdite…

Article 5 sexies – nouvelles interdictions de publicité (vapotage, lieux de vente)

© Onidji

© Onidji

Cet article est la synthèse de trois amendements votés en commission des affaires sociales :
– l’amendement AS1404 du Gouvernement, qui interdit la publicité en faveur des dispositifs de vapotage. Une disposition plus sévère que ne l’exige la directive 2014/40/UE du 3 avril 2014 relative aux produits du tabac puisque cette dernière autorisait la publicité par affichage sur le lieu de vente mais aussi la publicité pour les produits de vapotage ne comportant pas de nicotine – alors que l’on comprend mal en quoi l’interdiction de ces derniers peut être justifiée par des raisons de santé publique.
– L’amendement AS1405, également du Gouvernement, qui interdit la publicité sur le lieu de vente, soit à l’intérieur des bureaux de tabac – au risque, cette mesure se cumulant avec le paquet neutre, d’empêcher le consommateur de s’informer sur le goût (fort ? doux ? sucré ? amer?) du produit. Ce que le Gouvernement reproche à ces publicités : elles « constituent un moyen essentiel de promouvoir les produits et l’usage du tabac, stimuler l’achat impulsif de produits du tabac, donner l’impression que l’usage du tabac est socialement acceptable et rendre plus difficile le sevrage tabagique. » On cherche mais on ne trouve pas d’études chiffrées à l’appui.
– L’amendement AS1160 de Michèle Delaunay, qui prévoit de retirer la dérogation accordée aux « revues professionnelles spécialisées dans le commerce du tabac » pour leur permettre de diffuser des publicités en faveur de produits du tabac, dès lors que ces revues seraient « diffusées ou accessibles en dehors du réseau professionnel », ou ne feraient pas figurer auprès de ces publicités les avertissements sanitaires obligatoires.

© Rene Van Den Berg

© Rene Van Den Berg

Article 5 septies A – vérification de l’âge par le vendeur
[Introduit en séance publique par l’amendement 1194 d’Arnaud Richard.]

Article 5 septies – interdiction d’implanter un débit de tabac près d’un établissement scolaire
[Introduit en commission par l’amendement AS1162 de Michèle Delaunay, et réécrit en séance publique par l’amendement 1768 de cette même députée pour éviter un problème de constitutionnalité…]
Sont plus généralement visés, outre les établissements scolaires publics et privés les « établissements de formation ou de loisirs de la jeunesse ». Le texte précise que la disposition s’applique sans préjudice des droits acquis.

Article 5 octies – interdiction du mécénat pour les industriels du tabac
Voté en commission avec l’amendement AS1410 du Gouvernement, le dispositif a été durci et généralisé à toutes les opérations de mécénat par l’adoption en séance publique de l’amendement 2177 de Michèle Delaunay. Sont également interdites (mais – ne l’étaient-elles pas déjà avec l’interdiction de l’apologie du tabac ?) les opérations ayant « pour objet ou pour effet la propagande ou la publicité directe ou indirecte en faveur du tabac, des produits du tabac ou des ingrédients ».

Article 5 nonies – rapport au ministère de la santé sur les dépenses de promotion et de lobbying

© Darius Turek

© Darius Turek

Est notamment instaurée une « obligation pour les industriels du tabac de communiquer au ministre chargé de la santé leurs dépenses de communication et de lobbying et leurs contributions ou dons éventuels à des partis, candidats ou campagnes politiques. Certaines de ces dépenses ont vocation à être ensuite rendues publiques ».
Objectif : « lutter contre l’ingérance de l’industrie du tabac dans les politiques publiques ». Étrangement, le seul fait qu’une telle mesure (en fait, un tel train de mesures) puisse être votée laisse supposer que cette ingérance ne doit pas être si puissante !
Mais fort bien : il y va de la transparence de la vie publique – encore qu’on ne comprenne pas en quoi le ministère de la Santé est légitime ici.
Mais pourquoi le tabac est-il le seul concerné ? Les autres industries ne devraient-elles pas l’être de même ? De même que le secteur associatif ? Évidemment, cela pourrait éclairer d’un jour dérangeant certains clientélismes, eux pardonnables puisque sans nicotine…

Article 5 decies – paquet neutre
Introduite par l’amendement AS1408 du Gouvernement, la mesure était attendue, mais l’exposé des motifs laisse pantois.
D’abord en expliquant que « les industriels du tabac rivalisent d’ingéniosité commerciale pour contourner le principe général d’interdiction de la publicité directe et indirecte à travers le conditionnement du tabac » – on aimerait un exemple, parce que les paquets atypiques (collectors, et autres séries spéciales) sont déjà interdits et que tous les paquets sont illustrés d’une photo
« choc » avec avertissements sanitaires.
Ensuite en affirmant que « le paquet neutre de cigarettes ou de tabac à rouler, sous une norme harmonisée, dépouillera le conditionnement de son attrait et ne pourra plus atteindre ses populations cibles que sont en particulier les femmes et les jeunes. » L’argumentation n’apporte aucun élément de réponse aux données chiffrées, qui ressortent des sondages et montrent que non, on ne
fume pas à cause du conditionnement, seuls 3 % des fumeurs sondés déclarant avoir commencé à fumer parce qu’ils aimaient le packaging des produits du tabac (Commission européenne, Eurobaromètre 385, mai 2012).
En tous cas, l’amendement n’a pas fini de faire couler de l’encre, et s’il passe le cap du Conseil constitutionnel, devrait générer nombre de contentieux en indemnisation devant les juridictions civiles.

Article 5 undecies – interdiction de vapoter dans les lieux publics

Vapoter au bureau : un plaisir bientôt révolu. © goodluz

Vapoter au bureau : un plaisir bientôt révolu.
© goodluz

Introduit en commission par l’amendement AS1413 du Gouvernement, l’amendement adapte le régime de l’interdiction de fumer à des produits… sans combustion. L’objectif, selon l’exposé des motifs est « la dénormalisation sociale de l’acte de fumer », bien que, pour l’instant, cafés et restaurants n’entrent pas dans son champ, puisque sont concernés établissements scolaires, moyens de
transports et lieux de travail fermés.
Complications en perspective ? Selon l’exposé des motifs, « il conviendra de définir plus précisément par décret en Conseil d’Etat les obligations afférant aux lieux dédiés au vapotage. Ces derniers doivent être distincts des éventuels fumoirs, pour ne pas que les vapoteurs, majoritairement anciens fumeurs, soient victimes de tabagisme passif et soient encouragés à reprendre une consommation de
tabac. Compte tenu de l’absence de vapotage passif avéré, les lieux dédiés au vapotage devront se borner à une simple délimitation géographique et ne nécessiteront pas les mêmes contraintes que celles applicables aux fumoirs (taille, ventilation…). »

Article 5 duodecies – interdiction de fumer en voiture en présence de mineurs
Une autre mesure de longue date annoncée et sujette à critique, que le Gouvernement a fait voter en commission des affaires sociales
(amendement AS1415). L’âge initialement retenu, de 12 ans, a été porté à 18 en séance publique par un amendement (n°1452) d’Arnaud Richard.
Motif : « Les niveaux de tabagisme passif peuvent en effet être très élevés dans les véhicules, beaucoup plus que dans les bâtiments. Une étude canadienne montre qu’une seule cigarette dans un véhicule fermé peut produire des niveaux plus de 11 fois supérieurs à ceux d’un bar où l’on peut fumer. Le niveau de particules fines peut être supérieur à 100 fois la norme de l’agence américaine de l’environnement. Même en ouvrant les fenêtres ou en faisant fonctionner la ventilation à pleine puissance, le niveau d’exposition reste supérieur à celui d’un espace fermé de faible volume. »
Au centre des critiques, outre la faisabilité des contrôles par une police déjà débordée, le fait que cette mesure ouvre une
brèche en créant une première interdiction de fumer dans l’espace privé. Une atteinte à la vie privée que le Gouvernement ne nie pas et
juge « adaptée, nécessaire et proportionnée aux objectifs poursuivis de santé publique et de protection de la jeunesse, notamment au regard de l’âge retenu ».

Article 5 terdecies – sanction pénale pour le non-respect des obligations dues au paquet neutre
[Introduit en commission par l’amendement AS1403 du Gouvernement.]

Article 5 quaterdecies – sanction pénale pour le non-respect des obligations d’information du ministère de la santé sur les dépenses de promotion et de lobbying
[Introduit en commission par l’amendement AS1412 du Gouvernement.]

Article 5 quindecies – responsabilité pénale des personnes morales pour le non-respect des obligations d’information du ministère de la santé sur les dépenses de promotion et de lobbying
[Introduit en commission par l’amendement AS1411 du Gouvernement.]

Article 5 sexdecies – contrôle des interdictions
Introduit en commission par l’amendement AS1409 du Gouvernement, cet article précise que l’interdiction faite aux buralistes de vendre aux mineurs peut être contrôlée par « les agents de police municipale, les gardes champêtres, les agents de surveillance de Paris ainsi que les agents de la ville de Paris chargés d’un service de police ».
Le même article s’applique pour l’interdiction de fumer dans les lieux publics.
Ces contrôles sont étendus à l’interdiction du vapotage dans les lieux publics (amendement AS1414 du Gouvernement).

© Schlierner

© Schlierner

Article 5 septies – renforcement des sanctions pour contrebande
Ajoutée en séance publique par l’amendement 1907 de Frédéric Barbier, cette mesure renforce les sanctions pour contrebande en
portant de 10 à 15 ans la peine d’emprisonnement et le niveau maximal de l’amende à 10 fois la valeur de l’objet (contre cinq fois auparavant). Une sévérité bienvenue, mais dont l’efficacité dépendra à la fois de la politique pénale pratiquée et surtout du niveau de tranquillité effective dont bénéficient les trafiquants.
Étant entendu que la police ne peut pas à la fois et à effectifs constants contrôler l’âge des passagers en voiture et interpeller les trafiquants…

Article 5 octodecies – contrôle par un tiers indépendant de l’enregistrement et de la traçabilité des importations et commercialisations de produits du tabac
[Introduit en séance publique par l’amendement 575 de Jean-Louis Roumegas.]

Article 5 novodecies – étendre au ministère de la santé la compétence d’homologation des prix
[Introduit en séance publique par l’amendement 1825 de Jean-Louis Roumegas.]
Jusqu’à présent, cette compétence relevait uniquement de Bercy. Pour en savoir plus sur l’homologation, lisez le numéro 2 de Nicot-Infos (juillet 2014, p.6), mais Jean-Louis Roumegas résume le mécanisme en une phrase : « le processus d’homologation constitue une étape essentielle de l’action publique en matière d’encadrement de la vente de tabac, en permettant notamment de garantir l’unicité
des prix sur le territoire métropolitain et limiter d’éventuelles stratégies non maîtrisées de baisses des prix ». Ce qu’industriels et buralistes ne cessent de répéter face aux allégations d’entente et de cartellisation : s’il y a « unicité » des prix, notamment en bas de marché où pourrait jouer la concurrence-prix, c’est parce qu’il y a contrôle des prix, notamment en bas de marché…

© Aleksandra Gigowska

© Aleksandra Gigowska

Article 5 vicies – nouvelle contribution sur l’évolution du chiffre d’affaires
Introduit en séance publique contre l’avis du Gouvernement par l’amendement 2100 du rapporteur Olivier Véran, ce dispositif prévoit que les entreprises sont redevables d’une contribution si leur chiffre d’affaires « évolue plus vite qu’un taux de progression fixé par la loi. » Au terme d’un nouvel article 575 ter du code des impôts, « l’assiette de la contribution est égale au chiffre d’affaires annuel hors taxes de l’année civile, diminué de l’ensemble des taxes et droits de consommation acquittés. Le taux de la contribution est fixé chaque année par la loi de finances. »
Et ce que le texte ne dit pas mais que précise l’exposé des motifs, c’est que ce taux devrait être négatif : « Un objectif raisonnable de diminution régulière de ventes serait formalisé par un taux (T), fixé par la loi afin d’atteindre les objectifs déterminés par la stratégie nationale de santé. Un taux négatif de – 3% est proposé. » En pratique, et alors que certains élus reprochent déjà à l’industrie du tabac des pratiques anticoncurrentielles, la mesure devrait figer le marché puisqu’un nouvel entrant aurait forcément une très forte croissance de son chiffre d’affaires.
Autre paradoxe : le dispositif devrait dissuader les fabricants de monter leurs prix…

Article 5 unvicies – renforcement de la sanction en cas de fabrication de tabacs, détention frauduleuse en vue de la vente de tabacs fabriqués et de contrebande
Aux termes de l’amendement 1914 déposé par Frédéric Barbier et adopté en séance publique la peine d’emprisonnement prévue par l’article 1810 du code général des impôts passe d’un à trois ans.

Article 5 duovicies – rapport sur le paquet neutre
Selon un amendement (1595) adopté en séance publique et déposé par Bernadette Laclais, le Gouvernement remettra au Parlement, avant le 20 novembre 2017, un rapport présentant le bilan sanitaire du paquet neutre et les effets de cette mesure sur l’activité des débitants.

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