L’origine du mot « cigare »

extrait de la REVUE DES TABACS N° 1 de 1925

Cigare vient de l’espagnol « cigarral », qui signifie « lieu où chantent les cigales », et par extension « jardin ».

Comment ce mot a-t-il pu arriver à désigner un rouleau de feuilles de tabac ? Deux thèses sont en présence : c’est peut-être que les nobles hidalgos, qui usèrent les premiers du cigare, le fumaient de préférence dans leur jardin.

Ou bien, ils prenaient plaisir à offrir à leurs hôtes des feuilles de tabac roulées provenant de leurs propres plantations, disant « Es de mi cigarral », c’est de mon jardin.

En tout cas, la parenté de « cigare » et de « cigale » est indéniable ; et c’est par une fortune bien curieuse que nos Londrès et nos Corona portent le nom des insectes harmonieux auxquels Homère comparait les vieillards troyens, assis sur les portes Scées.

Cette étymologie est d’autant moins contestable que l’on trouve au XVIIIème siècle, à côté de « cigarros » cité dans le dictionnaire du commerce de Savary en 1723, la forme « Cigales » (supplément du même ouvrage, 1730). En 1775, le mot apparaît pour la première fois sous la forme actuelle « cigare ».

Au début du XIXème siècle, le mot, tout jeune encore, subit des vicissitudes diverses. Il conserve parfois encore les deux « r »de son ancêtre espagnol. Sa désinence lui fait attribuer par certains le genre féminin. C’est sous la forme cigarre qu’il est noté en 1836 dans le dictionnaire de Napoléon Landais. Cigarre et non cigare, précise l’auteur, malgré l’Académie (1855).

En Angleterre, l’orthographe « sigar » ou « segar » était et est encore parfois adoptée. Cette influence anglaise est la cause de l’orthographe adoptée par Chateaubriand, qui avait séjourné sept ans en Angleterre pendant l’émigration.

Dans « l’itinéraire de Paris à Jérusalem », il rencontre un jeune Moraîte, et il écrit : « Je lui présentai une sigarre, il faut ravi et me fit signe de fumer avec lui » (1811).

Enfin, en 1835, le mot cigare entre au dictionnaire de l’Académie avec l’orthographe et le genre qu’il a de nos jours.

Malgré l’influence anglaise et l’autorité de Chateaubriand en dépit des efforts des puristes comme Landais, l’usage consacré par l’Académie en 1835 a prévalu.

TABAC ET PETUN

Le mot « tabac » qui tire peut-être son origine de « Tabago », une des petites Antilles, ou bien de « Tabasco », ville du Mexique, n’est pas le mot le plus ancien qui ait désigné en français la célèbre solanée. Petun a été pendant près d’un siècle le seul terme courant.

C’est bien aux Antilles, et plus précisément à Cuba, le 6 novembre 1492, que les compagnons de Christophe Colomb rencontrèrent pour la première fois des Indiens qui fumaient des rouleaux d’une certaine herbe.

Mais, c’est du Brésil, où l’usage de la même plante était répandu comme dans toute l’Amérique, que le premier écho de cette étrange coutume vint à des oreilles françaises. Le moine cordelier, André Thévet, qui avait voyagé au Brésil, signale dans son livre la « France Antarctique » (1556) « une herbe appelée petun au Brésil où on la dit fort salubre pour distiller et consumer les humeurs du cerveau ».

Lorsqu’à partir de 1560, notre ambassadeur à Lisbonne, Jean Nicot, introduit à la Cour de France, auprès de Catherine de Médicis, l’usage du tabac, c’est sous les noms d’herbe à la reine, de médicée, de catherinaire que se répand la nouvelle plante, concurremment avec le vieux mot de petum ou pietun. Ce sont les seules appellations que connaisse Ambroise Paré dans ses traités de médecine (1568).

Le mot pétun et son dérivé pétuner, reste couramment employé pendant tout le XVIIème siècle.

Une ordonnance de la marine de 1634 édicte :

« Nul ne pourra pétuner, soleil couché, sur peine d’être calé trois fois et battu devant l’équipage ».

Scarron dit :
Aujourd’hui l’aveugle fortune
Est pour qui boit et qui pétune.

Le dictionnaire de Richelet de 1680, dictionnaire du bel usage ne donne encore que le mot petun en le désignant comme mot bas.

Le dictionnaire de l’Académie de 1694, qui enregistre pour la première fois le mot tabac, indique comme synonymes petun, ou nicotine, ou herbe à la reine.

Enfin, le mot petun a donné le bas breton « butun » qui est resté jusqu’à nos jours en usage dans cette langue.

Mais dès 1612, apparaissait dans des ouvrages français le mot tabac. On le trouve à cette date dans Marc Lescarbot, « Histoire de la nouvelle France » dans Garassus, « La doctricne curieuse des beaux esprits de ce temps » (1624), dans Sorel, « Le Berger extravagant » (1627) ?

Scarron, dans son « Virgile travesti », l’emploie concurremment à petun.

Tabagie, dans l’expression « faire tabagie », apparaît dans Lescarbot (ouvrage précité, et est employé par le joyeux Rouennais Saint-Amand, poète des ripailles et de la goinfrerie.

« Il faut faire tabagie
Et célébrer une orgie, »
écrit-il dans son poème La Crevaille.

De plus en plus, au cours du XVIIème siècle, tabac remplace petun.

En 1668, le sieur Baillerd publie son « Discours du tabac », où il est traité particulièrement du tabac en poudre.

Enfin en 1694, malgré l’abstention de Richelet, quatorze années auparavant, le mot « tabac » conquiert droit de cité par l’entrée au Dictionnaire de l’Académie.

Depuis son succès ne s’est pas démenti, et si Chateaubriand, dans le prologue d’Atala, parle encore des sacrifices de « petun » faits par des Indiens à leur manitou, c’est sans doute par une recherche de couleur locale.

La fortune du vocable « tabac », détrônant peu à peu petun, est due sans conteste à sa belle sonorité. Les syllabes les plus sonores attirent et retiennent le mieux l’attention de l’oreille. Notamment les noms contenant des a font meilleure fortune que ceux qui n’en contiennent pas. Deux syllabes en a formaient un mot éclatant, bien propre à conquérir et à garder la faveur du langage, de préférence à un concurrent qui ne possédait que des syllabes sourdes.

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