L’ART DE FUMER
La pipe et le cigare
Par Barthélemy – 1844
Extraits lus par Jean Miot lors de la soirée d’amateurs de cigares
« France Cuba » – le 22 octobre 2012 –
……Pour l’homme qui n’est point un malheureux profane,
Sous la voûte du ciel il n’est que le Havane ;
Le soleil qui le dore en est enorgueilli ;
Le reste ne vaut pas l’honneur d’être cueilli.
Pourvu qu’en arrivant de sa course Atlantique,
Il ait bien constaté sa naissance authentique,
Donnons-lui notre amour, sans attacher les yeux
Sur la forme qu’il doit à l’art capricieux
Il faut savoir fumer ce qu’on a su choisir.
Or, je dois mes conseils au fumeur qui s’égare
Dans l’art de gouverner la marche du cigare :
Avant de l’allumer, ayez soin que d’abord
De votre lèvre humide il effleure le bord,
Moyen de prévenir les disgrâces fortuites
D’une robe trop sèche ou d’invisibles fuites.
Ne vous rebutez pas si, dès le premier feu,
Il seconde assez mal l’ardeur de votre vœu ;
Vos doigts, en le pressant, le rendront moins rebelle,
Et peut-être plus tard il aura trop de zèle ;
Modérez vos transports ; il est de mauvais ton
De montrer à cette œuvre un appétit glouton ;
Quand vous voyez quelqu’un dont l’haleine oppressive
Vomit par tourbillons une vapeur massive,
Estompe ses voisins de nuages fumeux
Et dans un noir chaos s’enveloppe comme eux,
Vous pouvez hardiment dire : c’est un novice…..
Le vrai fumeur s’abstient d’imiter le Vésuve,
Sa lèvre, à temps réglés, jette un léger effluve,
Sa frugale sagesse offre un juste aliment
Au brasier qui rayonne et monte carrément ;
Il démontre, au besoin, que durant trois quarts d’heure
Un cigare en ses mains peut rester sans qu’il meure,
Pourvu qu’il soit de ceux qui filent jusqu’au bout,
Donnent la cendre blanche et la tiennent debout ;
D’une exquise valeur tel est le caractère…..
Au luxe du Havane alors qu’il se décide,
L’homme doit être exempt de tout regret sordide,
Et ne pas calculer avec affliction
Les centimes que vaut chaque aspiration….
Si le sort a voulu que nous soyons de ceux
Qui charment, à grands frais, leurs ennuis paresseux,
Tâchons, tâchons du moins, que ce luxe s’expie,
En le faisant tourner à la philanthropie.
L’indigent a des droits à nos biens superflus,
Ce que nous rejetons ne nous appartient plus….
Le boueur matinal dont le balai de houx
Nous fait, quand nous dormons, notre pavé plus doux,
Dans de confus débris fouillés à l’aventure,
Du brûle-gueule à jeun trouveront la pâture,
Et pourront un moment supporter leur destin,
En cueillant cette miette échappée au festin.
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