Moi(s) sans tabac : derrière la carotte, le bâton ?

Pour encourager les fumeurs à arrêter en les intégrant dans un mouvement d’ensemble, novembre a été déclaré « mois sans tabac » par le Gouvernement. Un mieux, mais la prévention reste le parent pauvre des politiques de santé et la répression n’est jamais loin. 

Qu’importe l’augmentation des ventes de tabac entre le 1er janvier et le 1er août, ou que les fumeurs représentent un tiers des 12-75 ans, faisant de la France l’un des pays où l’on fume le plus, Marisol Touraine n’est pas avare d’auto-congratulations : ‘’moi(s) sans tabac’’ ? « C’est une initiative de santé publique comme on n’en avait jamais eue en France ».

Mais qu’en est-il vraiment ? Lancée le 1er novembre, l’opération s’inspire de l’initiative britannique « Stoptober » – qui a cours depuis 2002. Un copier-coller qui démontre si besoin était que la France n’est en pointe ni de l’innovation ni de la réflexion sur ce sujet, mais passons. Concrètement, l’idée est de créer un contexte qui puisse encourager les fumeurs à arrêter en s’inscrivant dans un mouvement d’ensemble. Comment ? par une série de mesure détaillées dans les conférence et  dossier de presse qui accompagnent tout lancement d’une « action » ministérielle, à savoir :

(a) la possibilité pour les fumeurs désireux de participer de s’inscrire sur Tabac-info-service,

(b) le lancement d’une nouvelle mouture de l’application de coaching personnalisé de Tabac-info-service – mais on nous promet que ce n’est pas du réchauffé : « désormais un ensemble de modules est proposé [à l’utilisateur] en fonction de ses motivations, de sa dépendance, de sa situation vis-à-vis du tabac » ;

(c) la distribution d’un « kit »  comprenant divers outils d’accompagnement et d’encouragement dont il est, pour certains, difficile de dire dans quelle mesure il s’agit ou non de gadgets (tels qu’un « disque pour calculer les économies réalisées en fonction de sa consommation quotidienne », un sticker à coller sur le réfrigérateur : « je retrouve la forme pas les formes » pour surveiller son alimentation pendant le sevrage, ou encore un badge « moi(s) sans tabac » pour « afficher sa motivation »….) ;

(d) plusieurs « mesures » qui n’en sont pas, puisque déjà en place de longue date, comme la possibilité de joindre les tabacologues du 3989 – ou le remboursement des substituts nicotiniques mis en place puis triplé… sous la législature précédente.

Enfin, à tout cela, se sont ajoutées diverses opérations de communication : affiches, spot TV, spot radios, page facebook, camion dédié circulant en région, animations événementielles dans 8 grandes villes etc.

Sur le papier, tout cela est très beau, mais reste à jauger les effets pratiques. Et là, tout dépend de savoir quels chiffres on regarde. D’un côté, 620 000 « kits » ont été distribués, l’application de coaching personnalisée a été téléchargée 72 000 fois et le site de Tabac info service a reçu 1 300 000 visiteurs, soit 4 fois plus que la moyenne. D’un autre côté, on ignore l’audience effective des affiches, ou le nombre de fois où les spots ont été diffusés, à quels horaires et avec quelle audience ; ces chiffres ne disent rien sur l’usage effectif et l’efficacité des moyens déployés ; et surtout, le nombre d’inscrits sur Tabac-info-service « point d’entrée de l’opération » selon les propres termes du ministère, n’a pas dépassé les 180 000. C’est peu comparé au 15 millions de fumeurs français. C’est, peut-être aussi, peu au bout d’un mois d’ « actions » en tout genre, alors que, dès le 7 novembre, on enregistrait déjà 164 000 inscrits.

Prévention insuffisante

La question se pose donc sérieusement de savoir si la population a vraiment été impactée. Pour le Grand Maître de la Confrérie de Jean Nicot, François Dutreil, « le mois sans tabac est une bonne idée, car personne ne peut nier que l’usage intense du tabac peut présenter de graves inconvénients pour la santé, et car c’est l’amorce d’une tradition annuelle qui pourrait permettre de limiter la consommation des jeunes. Mais sa mise en œuvre est restée décevante. On aurait pu imaginer que ce mois soit consacré à des opérations d’éducation dans les établissements scolaires, des conférences, des messages dans la presse. Rien ou pas grand-chose. »

Et de fait, le 6 décembre, le rapport annuel « Health at a glance » montrait que la France reste à la traîne en Europe en matière de prévention avec seulement 1,9 % des dépenses de santé allouées, contre une moyenne de 3 % pour les pays de l’Union européenne. Parmi les sujets sur lesquels l’Hexagone est en retard : la prévention du tabagisme, mais aussi de l’alcool et – avec un laxisme que la Confrérie de Jean Nicot ne cesse de dénoncer – de l’exposition des jeunes aux drogues et au cannabis.

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Surtout, derrière cette prévention parent pauvre des politiques publiques, les vieux procédés affleurent toujours : l’infantilisation du fumeur – qui, forcément ne sait pas ce qu’il fait – ; sa culpabilisation ; et, corrélat immédiat de ce qui précède : la répression. Si un sondage publié par l’institut CSA le 15 novembre montre que seuls 25 % des Français sont favorables à l’interdiction du tabac, le budget 2017 a encore accru les charges des fabricants de tabac – ce qui se traduira immanquablement par une hausse des prix – et  le « mois sans tabac » a été l’occasion d’une énième surenchère sur le prix auquel il conviendrait de porter le paquet.

Pourtant, déplore François Dutreil, « on sait que cela encourage le développement du commerce parallèle sans évidemment avoir une influence sur la consommation réelle, qui devient incontrôlable. Mais cela n’empêchera pas les statistiques officielles de présenter des indicateurs de consommation à la baisse ! »

Et le Grand Maître de conclure : « Établissons de vrais programmes de prévention et d’éducation afin de traiter les fumeurs comme des adultes qui peuvent exercer leur liberté de fumer dans le respect des autres ».

 

 

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