Le tabac à la hache mais le hasch fait un tabac…

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La Hollande, l’autre pays du fromage, la France, l’autre pays du joint ? En 2015, 47,8 % des jeunes de 17 ans déclarent avoir déjà consommé du cannabis. Ils étaient 41,5 % en 2011. © Aukasz StefaA„ski

T’en veeeeux ? Il faut voir… Malgré les dénégations du Gouvernement, la majorité a du mal à faire taire en son sein une tendance à la tolérance si ce n’est à la légalisation du cannabis. Un mouvement de libéralisation paradoxalement à rebours d’une législation antitabac de plus en plus stricte. L’un est pourtant un produit licite et taxé tandis que l’autre, pas moins dangereux, est illégal et profite aux trafiquants.
Une politique à deux poids deux mesures qui en étonnera plus d’un – et manifeste une curieuse propension à ne pas apprendre.

Le cannabis, c’est 4,5 millions de consommateurs – dont 1,2 millions réguliers – et 13,4 millions de Français y ont goûté – soit un taux d’expérimentation de 32,12 % chez les 15-64 ans(1). Incroyable mais vrai, cela place la France loin DEVANT les Pays-Bas où ce chiffre atteint 25,7 % !
Sauf qu’Amsterdam est réputé pour ses coffee shops où l’on ne consomme pas que du café, tandis qu’à Paris, la réponse pénale se veut exemplaire : l’article L.3421-1 du code de la santé punit d’un an d’emprisonnement et de 3750 euros d’amende l’usage illicite de l’une des substances ou plantes classées comme stupéfiants.
Bref, nous obtenons des résultats parmi les pires en Europe avec une législation des plus sévères. Difficile de ne pas y voir soit un échec patent, soit la conséquence d’une politique délibérée de fausse fermeté et d’hypocrisie assumée. Comme des sourcils agacés se lèvent, démontrons.

Polémique
D’abord, le pourquoi de cette fermeté du discours (et de la législation, qui en France est devenue une façon de communiquer), n’est
pas à chercher bien loin. Selon les sondages 55 à 80 % des Français sont opposés à la dépénalisation et une majorité n’y croient pas (2).
Ensuite, le pourquoi de cette tolérance qui ne dit pas son nom n’est pas bien compliqué non plus à deviner : plus que dans le constat d’une tendance internationale à la légalisation (Colorado et Uruguay notamment), il réside sans doute dans cette conviction exprimée
dans le rapport des députés Anne-Yvonne Le Dain (PS) et Laurent Marcangelli (UMP) : le cannabis est d’une « dangerosité relative très
contestée ».
Et lorsque le 13 mai, interpellée par le député UMP Philippe Goujon sur les « signaux inquiétants » montrant que le Gouvernement « pourrait s’engager dans la voie » de la dépénalisation, la ministre de la Santé ose lui répondre « ce n’est pas là un sujet de polémique – ou du moins, cela ne devrait pas l’être », c’est en faisant mine d’ignorer que la polémique existe au sein même de la majorité. En 2011 déjà, le député socialiste et ancien ministre de l’Intérieur Daniel Vaillant suggérait une « légalisation contrôlée ».
Le sujet a été relancé en 2012 par Cécile Duflot, avec l’insuccès que l’on sait, mais qui n’a pas empêché Vincent Peillon ou hristiane Taubira de laisser la porte ouverte au débat – avant qu’Anne-Yvonne Le Dain n’explique à l’Assemblée nationale : « selon moi, il faut aller plus loin et, face à l’explosion de la consommation, légaliser l’usage individuel du cannabis dans l’espace privé et pour les personnes majeures, et instituer une offre réglementée sous le contrôle de l’État. Cela permettrait d’instaurer un « contrôle de qualité » qui fait sérieusement défaut aujourd’hui, alors que certaines variétés mises au point par les producteurs ont un niveau de THC de 34 %, ce qui est considérable, et que des multinationales du cannabis se livrent à un gigantesque trafic occulte, très nuisible pour la santé de nos concitoyens. »

Cannabis, ça, t’y vas…
Va donc pour un régime pénal d’une fermeté telle qu’on ne l’applique pas. Ce qui, soit dit en passant, laisse aux magistrats la charge et la possibilité de faire leur tambouille au grès de leurs convictions, des moeurs en vigueur dans leur ressort territorial, de la tête du client, et – espérons-le –, de son passif dans la délinquance(3). Mais les parlementaires qui se sont penchés sur le sujet relèvent dans 60 % des cas un recours aux peines alternatives – des rappels à la loi à 60 % : avec 36 % de rappel à la loi donc, on est loin d’une application à la lettre du code de la santé…

© Lukas Gojda

© Lukas Gojda

Plus intéressant encore, on remarquera que la ministre s’est empressée de ne pas répondre à deux points soulevés par Philippe Goujon. Premièrement, « après onze ans de baisse de la consommation, l’usage du cannabis est reparti à la hausse sous [ce] gouvernement ». En effet, selon la note de l’OFDT rendue publique le 21 avril, 47,8 % des jeunes de 17 ans déclarent avoir déjà consommé du cannabis, contre 41,5 % en 2011.
Or, deuxièmement, lors de la manifestation pour la dépénalisation du 9 mai, « beaucoup ont défilé un joint à la bouche, en infraction totale avec la loi de 1970 » et n’ont pour l’heure pas été poursuivis, ce qui, pour une occasion emblématique et médiatisée, ne montre pas une farouche volonté de faire respecter la loi.
On n’a d’ailleurs pas vu de question écrite sur la place du cannabis dans la culture et l’industrie cinématographique – avec pourtant des films comme The Big Lebowski, ou Arnaque crime et botanique…. On n’a pas vu Hubert Felix Thiéfaine se faire poursuivre pour apologie du cannabis avec La Fille du coupeur de joint, pas plus qu’Ina Modja pour sa chanson Mister H ou Rihana pour James Joint, l’interlude de son dernier album…

2 poids 2 mesures
Résumons. Voici deux produits d’une dangerosité difficile à comparer. D’un côté le tabac, produit légal, assujetti à 80 % de taxes, bardé d’avertissements sanitaires et distribué sous étroit contrôle administratif par le réseau des buralistes, avec un droit de plus en plus strict.

Herbe Marie-Jeanne, d’une « dangerosité relative très contestée »... © stellar001

Herbe Marie-Jeanne, d’une « dangerosité
relative très contestée »…
© stellar001

De l’autre, le cannabis, qui ne fait l’objet d’aucun contrôle sanitaire, et bénéficie honteusement aux délinquants quand ce n’est pas aux réseaux mafieux et terroristes, et ne fait bien sûr l’objet d’aucun encadrement ou droit d’accise.
On peut couvrir cela de tous les voiles pudiques que l’on veut : un marché noir qui atteint l’ampleur qu’a aujourd’hui le marché du cannabis (ou celui de la cigarette de contrebande) est le marché le plus libre qui soit. Et tout cela est toléré de facto sinon
de iure (sinon, qu’on nous explique comment malgré les efforts incessants des douanes, de la police et de la gendarmerie, des dealers peuvent encore garer outrageusement leur Hummer ou leur Audi TT en bas de certaines tours de Seine-Saint-Denis…)
Bref, il y a les lois que l’on applique – aux fumeurs respectueux des lois, qui payent leur taxes, aux buralistes qui ont intérêt à vérifier que l’acheteur est majeur et vacciné – et les lois qu’on laisse impunément et massivement transgressées par les dealers et les envapés…
Allez après cela vous gargariser de l’égalité et de la République… Et de grâce qu’on ne nous explique pas que « le nombre de morts évitables à lui seul justifie cette différence de traitement ». L’argument ne tient pas si un malade est un malade de trop, il ne
tient pas si les mesures anti-tabac se justifient d’abord par le fait de protéger les jeunes.

... Herbe Jean Nicot : d’une dangerosité relative totale ? © Denis Zorkin

… Herbe Jean Nicot : d’une dangerosité
relative totale ?
© Denis Zorkin

Pour mémoire, le cannabis est principalement consommé par les jeunes – un étudiant sur 4 (!) selon une récente étude commandée à Harris Interactive par la Smerep, avec des risques parfaitement connus et que rappelle l’Inserm : « La consommation chronique de cannabis fumé a des conséquences sanitaires à long terme comparables à celles du tabagisme (risques accrus de maladies cardiovasculaires, accidents vasculaires cérébraux, cancers) (…) L’adolescence est une période de vulnérabilité particulière aux troubles cognitifs et au risque d’apparition de troubles psychotiques ou de schizophrénie secondaires à la consommation de cannabis qui perturbe les processus de maturation cérébrale. De plus, le risque d’altérations cérébrales peut exister pour de faibles consommations chez des sujets particulièrement vulnérables (…)
Une étude récente a mis en évidence, chez des sujets adultes, que la dépendance au cannabis peut entraîner une diminution du quotient intellectuel dont l’ampleur dépend de la précocité de la consommation (avant l’âge de 18 ans) (…) Outre la mise en évidence d’effets sur la mémoire, l’attention et la concentration, l’usage intensif de cannabis peut engendrer un syndrome « amotivationnel », qui se traduit par un déficit d’activité professionnelle ou scolaire, mais aussi une pauvreté idéative et une indifférence affective. »

Leçons non tirées…
Dans ces conditions, à bien y réfléchir, la ministre de la Santé a peut-être des raisons d’éviter de polémiquer. Il reste dommage que la fermeture systématique et hypocrite par le Gouvernement du débat sur la légalisation du cannabis conduise à jeter le bébé avec l’eau du bain. Car le cas du cannabis, avec l’augmentation actuelle de sa consommation, est riche d’enseignements.
A moins que les dealers, pris d’un subit accès de marketose et d’intellect, ne se soient mis à packager leurs barrettes et leur herbe, le succès du cannabis montre l’insuccès d’un paquet neutre à faire baisser la consommation.
Et plus généralement, il montre l’inefficacité de l’interdiction si ce n’est son caractère contre-productif en particulier sur un public jeune.
Allez, à l’OFDT et à son rapport annuel de 2011, le mot de la fin : « Dans son expression la plus simple, l’hypothèse de l’impact législatif veut qu’une modification de la législation entraîne une modification de la prévalence, les sanctions renforcées entraînant une chute de la consommation de drogue et des sanctions réduites aboutissant à une hausse de la consommation. (…).
Or, au cours de cette période de dix ans, dans les pays concernés, aucune corrélation simple ne peut être observée entre les changements législatifs et la prévalence de la consommation de cannabis. »

1. Ces chiffres sont ceux du rapport européen sur les drogues 2014, repris par Anne-Yvonne Le Dain et Laurent Angeli
2. Sur le pourcentage des Français opposés : voir CSA, novembre 2013 (55 %) ; IFOP, juin 2012 (70 %) – le chiffre atteint 78 % dans l’enquête Eropp de l’OFDT (novembre 2013 également). Sur leur scepticisme, cf. enquête Yougov du Huffington Post, février 2013.
3. « Le rappel à la loi (RAL) (…) est différent d’un point du territoire à l’autre, dans une fourchette allant de 20 grammes (zones rurales) à 50 grammes (région parisienne), ce qui heurte les rapporteurs car il est difficile de comprendre qu’on soit diversement sanctionné sur la base d’un élément pourtant aussi objectif que le grammage d’un produit interdit. »

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