Paquet neutre : le Sénat n’est pas convaincu

Examinant fin juillet le projet de loi santé, la commission des affaires sociales du Sénat a sensiblement modifié les dispositions anti-tabac introduites par l’Assemblée nationale, avec un retour à une transposition plus stricte de la directive et la suppression du paquet neutre. Un sujet sur lequel l’argumentaire gouvernemental n’emporte pas l’adhésion de sénateurs constitutionnellement chargés de représenter les territoires.

Exit le paquet neutre ? Pas pour Marisol Touraine qui, méthode Coué ou tendance à vendre la peau du buraliste avant de l’avoir tué, en dévoilait un exemplaire à Paris-Match le 20 juillet. Trois jours avant que la mesure ne soit supprimée du projet de loi santé par la commission des affaires sociales du Sénat, cette dernière ayant préféré revenir à la stricte transposition de l’article 10 de la directive du 3 avril 2014 relative aux produits du tabac, qui prévoit que les avertissements sanitaires « recouvrent 65% de la surface extérieure avant et arrière de l’unité de conditionnement et de tout emballage extérieur », au lieu de 30% et 40% actuellement.

D.R.

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Socialistes dubitatifs
Alors que sur ce type de sujet on aurait pu espérer un consensus du même type que celui qui entoure par exemple les textes de consommation, ce projet de loi de « modernisation de notre système de santé » qui avait déjà soulevé l’ire des médecins suscite décidément la polémique. Et, sur le paquet neutre, le désaccord va bien au-delà du simple clivage partisan entre un Sénat d’opposition et une Assemblée à majorité socialiste.
Un simple coup d’œil aux débats qui ont eu lieu en commission montre en effet que, même au sein des élus PS, la mesure ne convainc pas. En effet, l’amendement adopté (COM-136) n’est pas le fait d’un sénateur Les Républicains mais l’œuvre de Richard Yung (Soc, Français établis hors de France) cosignée par 12 sénateurs socialistes. Avec Yves Daudigny (Soc Aisne), Georges Labazée (Soc, Pyrénées-Atlantiques) et Catherine Génisson (Soc, Pas-de-Calais) qui ont soutenu l’amendement durant les débats, ce sont donc pas moins de 16 élus socialistes qui en commission ont pris position contre le paquet neutre.

Questions sans réponses
Mais ce qui frappe plus encore dans ces débats du 23 juillet, c’est l’accord qui s’établit entre les différents groupes politiques. Oui, consensus il y a bien – il faut cela pour que dans un Sénat de droite, un amendement socialiste soit adopté -, et ce consensus est contre le paquet neutre !

© Roman Sigaev

© Roman Sigaev

Avec une première préoccupation qui revient chez chaque intervenant ou presque : l’inévitable développement de la contrebande, qui, non seulement rendra la mesure inefficace, mais aura en plus un impact destructeur sur les buralistes. (Lire verbatims ci-contre).
Et un second souci, sans doute moins abondamment évoqué en commission, mais qui n’est pas le moindre : «  Le Conseil constitutionnel a rappelé, dans sa décision du 8 janvier 1991 relative à la loi Évin, que la marque est un élément du droit de propriété dont l’utilisation est protégée », souligne Isabelle Debré (Les Républicains, Hauts-de-Seine), avant de conclure : « L’article 5 decies comporte par conséquent un risque juridique ». En fait, un risque juridique qui se double d’un risque financier, puisque l’addition de l’indemnité à verser aux industriels pourrait atteindre les 20 milliards d’euros. A payer par le contribuable – et sans compter la nécessaire compensation, toujours par le contribuable, si la mesure devait malgré tout s’avérer efficace, de l’impact qu’elle aura sur les rentrées fiscales.
Si l’on récapitule, cela fait tout de même quatre questions majeures auxquelles Marisol Touraine n’a pour l’heure répondu qu’à côté, en répétant inlassablement la litanie de ses éléments de langage (le nombre de morts, la nécessité de « casser l’effet marketing ») :
1. Quels arguments, quels mécanismes économiques précis permettent de prétendre que la mesure sera efficace sur la consommation, quand seuls 3 % des fumeurs sondés déclarent avoir commencé à fumer parce qu’ils aimaient le packaging des produits du tabac (Commission européenne, Eurobaromètre 385, mai 2012) ?
2. Quid du développement du marché illégal, qui a explosé en Australie alors que non, l’Australie n’a pas de voisins continentaux, et alors que les « mesures fortes » prises en France n’ont jusqu’à présent guère prouvé leur efficacité avec des volumes illégaux en hausse constante ? Isabelle Debré pointe notamment le fait que « les paquets portent des marquages techniques protégés par brevet, justement destinés à éviter la reproduction illégale » …
3. Quid des mesures concrètes mises en place pour les buralistes ? (lire ci-après, page )
4. Quid de la question de l’indemnisation des industriels du tabac, qui se pose puisque l’on est dans un état de droit. Qui va payer et comment ?

Et la suite du débat ?
Très vraisemblablement, le Sénat devrait suivre la position de sa commission et la commission mixte paritaire chargée ensuite d’élaborer un texte de compromis entre Assemblée et Sénat devrait échouer. La procédure accélérée ayant été engagée sur ce texte – comme les gouvernements ont pris l’habitude de le faire quand un texte n’est pas consensuel -, une nouvelle lecture aura alors lieu dans chaque chambre, et le dernier mot reviendra à l’Assemblée nationale, qui a toujours, le projet de loi Macron l’a bien montré, une position beaucoup plus rangée face aux exigences de l’Exécutif…
Reste à savoir si les députés continueront de se satisfaire des éléments de langage du Gouvernement ou si ce dernier devra les persuader à grand coup de 49-3.
Une chose est en tous cas sûre : maintenant qu’elle a fait de cette mesure mal ficelée et mal justifiée « la clé de voûte » de son dispositif, on imagine mal Marisol Touraine renoncer au paquet neutre…

 

Ce qui s’appelle un consensus : verbatims

Nombre d’entre nous sont sollicités par leurs buralistes locaux. L’arrivée du paquet neutre dans des communes rurales de 600 habitants est-elle réellement de nature à faire baisser la consommation locale ? J’en doute. L’Europe a pris des options ; n’allons pas plus loin.
Jean-Marie Morisset (Les Républicains, Deux-Sèvres)

La vente du tabac est légale. La mise en place du paquet neutre contribuera à renforcer les circuits parallèles, qui représentent déjà 30 % des ventes et ne sont pas un phénomène exclusivement frontalier.
Daniel Chasseing (Les Républicains, Corrèze)

Sénatrice de Haute-Garonne, avec Andorre et l’Espagne de l’autre côté, je suis bien placée pour connaître l’impact des trafics et des marchés parallèles. Le bureau de tabac est l’un des derniers commerces à animer le monde rural, et parfois le monde urbain ou périurbain. Aller plus loin que la directive européenne sera vécu comme une véritable injustice.
Brigitte Micouleau (Les Républicains, Haute-Garonne)

Le paquet neutre est-il de nature à bloquer la consommation de tabac ? Je ne le crois pas, à plus forte raison quand nous sommes entourés de pays qui ne l’appliquent pas et que 20 % à 30 % des achats se font d’ores et déjà hors du réseau des buralistes.
Yves Daudigny (Soc, Aisne)

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